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Tijuana, nouvelle frontière ukrainienne


Réfugiés ukrainiens à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.


Des réfugiés ukrainiens tentent de rejoindre les États-Unis par la frontière avec le Mexique. Leur accueil se fait dans une grande improvisation et pose un problème d’équité avec d’autres migrants, venus d’Amérique centrale, qui se heurtent aux barbelés de Tijuana.


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« Je suis à bout. Je suis fatiguée. Cela fait plus de deux jours que nous sommes ici ». Nataly Yankova, 48 ans, a fui l'Ukraine avec deux filles adolescentes, dont l'une en fauteuil roulant, et deux neveux. Elle prévoyait de rejoindre son frère qui vit à Chicago. Aujourd’hui, elle se retrouve avec une dizaine de familles ukrainiennes assises sur des chaises pliantes, par une froide nuit de printemps, à côté des barbelés qui séparent le Mexique des États-Unis. Il a fallu trois jours à la plupart d'entre eux pour atteindre le début de la file d'attente qui permet aux Ukrainiens de se soumettre aux entretiens d’entrée sur le territoire américain.

Il y a une semaine, 50 réfugiés ukrainiens qui avaient pris l'avion pour le Mexique se trouvaient dans la ville frontalière de Tijuana, entassés dans un petit arrêt de bus en forme de tunnel, dans l’attente de pouvoir entrer aux États-Unis. En l'espace de quatre jours, le nombre de réfugiés est passé à 500, et un campement de fortune a été installé à même la terre battue. Leur nombre a ensuite grimpé à près de 1.200, dont environ 400 ont pu dans un gymnase.


Parmi eux, il y a la famille d'Anastasiia et Sergii Derezenko. Avec leurs deux enfants, Denys, 10 ans, et Yeva, 8 ans, ils ont abandonné leur appartement dans la banlieue de Kiev sous les bombardements russes, et ont traversé l'Europe en train pour prendre un vol de Madrid à Mexico, où ils ont pris une correspondance pour Tijuana. Des amis les attendent à Portland, dans l’Oregon.

Denys, 33 ans, investisseur en crypto-monnaies, déclare avoir payé un passeur 5.500 euros pour le guider à travers des montagnes et une épaisse forêt dense afin de passer en Roumanie « Je ne voulais pas me battre. Je ne sais pas comment me battre » (les hommes en âge de combattre étaient interdits de sortie du territoire ukrainien). Comme beaucoup de ceux qui attendent à la frontière, il dit qu'il n'avait jamais envisagé d'immigrer aux États-Unis avant la guerre : « J'avais un appartement, une voiture, un chien. J'étais heureux », dit-il, debout devant la tente qu'il partage avec sa petite amie, Rina, et deux autres personnes.

« Nous n'avions aucune envie de partir dans un autre pays. Nous avions une vie formidable, nous voyagions », dit aussi Daria, 24 ans, qui travaille dans l'informatique, arrivée avec sa jeune sœur de 16 ans. Dans un premier temps, elles avaient trouvé refuge dans un village près de Kiev. Mais là aussi, les roquettes sont tombées. Sans électricité, disent les sœurs, elles faisaient bouillir de l'eau dans la cheminée et rationnaient la nourriture. Le dixième jour, elles ont réussi à partir dans un convoi. Leurs parents les ont convaincues qu'elles devaient partir pour les États-Unis, où elles avaient des amis.


Après la fuite éprouvante de leur pays et de longs voyages en avion pour atteindre le Mexique, ces réfugiés ont vite compris que le passage aux États-Unis n'était pas automatique. Alors que l’engorgement commençait à grossir et que règnait une certaine confusion, des dizaines de bénévoles russophones, d'organisations religieuses et de groupes privés, se sont précipités pour organiser la distribution de nourriture, d'abris et de soutien médical et logistique des deux côtés de la frontière. « Le système à la frontière est incroyablement inefficace », dit Olya Krasnykh, l’une de ces bénévoles, venue de San Mateo, en Californie : « Je ne sais pas combien de temps nous pourrons maintenir l'effort des volontaires ».

La municipalité de Tijuana a récemment ouvert pour les réfugiés ukrainiens un complexe sportif, Benito Juárez, qui avait été utilisé en 2018 pour héberger des milliers de migrants centraméricains.

Olya Krasnykh et son équipe ont négocié un abri dans l'établissement, et l'État de Californie a rapidement fourni des matelas, une connexion Wi-Fi et des services de sécurité. À l'extérieur, des bénévoles préparent des repas chauds, notamment du bortsch, et distribuent vêtements et jouets.

Les volontaires ont établi une liste numérotée, d’abord sur un simple bloc-notes jaune, puis en ligne avec l'aide d'ingénieurs informatiques, afin d'organiser les demandes d'entrée aux États-Unis.

« Nous avons commencé à voir un certain chaos. Les gens s'énervaient les uns contre les autres », confie Roman Dubchak, un bénévole venu du Massachusetts, qui s'occupe du processus d'enregistrement. « Il est devenu évident que nous devions créer une sorte d'ordre prioritaire ».

Les chiffres ont continué à gonfler, passant à plus de 2.000 familles inscrites sur cette liste. Les réfugiés ont reçu pour instruction de suivre un groupe de messagerie, où ils seraient avertis lorsque ce serait leur tour de rassembler leurs affaires et de se rendre dans l'une des trois tentes de transit situées près du point d'entrée.


Une famille de migrants du Guatemala, devant le campement réservé aux réfugiés ukrainiens.


A Tijuana, l’arrivée de ces réfugiés ukrainiens représentent un défi inattendu pour les agents frontaliers américains, qui sont déjà débordés par un afflux d’autres migrants en provenance de pays tels que le Honduras et Haïti. En mars, l'administration Biden a annoncé que les États-Unis accepteraient 100 000 Ukrainiens. Mais « cette annonce a été faite sans qu’aucun programme ne soit prévu », déplore Olya Krasnykh. Cela a toutefois incité ceux qui avaient de la famille ou des amis aux États-Unis à payer des milliers de dollars pour rejoindre le Mexique, un pays où, contrairement aux États-Unis, ils pouvaient entrer sans visa.

Par ailleurs, l’annonce par les États-Unis du prochain assouplissement des règles sanitaires (liées au coronavirus) pour entrer sur le territoire américain, va relancer les flux migratoires. Selon les propres estimations de l'administration américaine, quelques 18.000 migrants de divers pays pourraient arriver chaque jour après la levée des restrictions sanitaires, soit trois plus qu’aujourd’hui. Les difficultés économiques ont déjà poussé les Cubains à se rendre aux États-Unis dans des proportions jamais vues depuis près de trois décennies. Les agents frontaliers ont reçu plus de 50.000 Nicaraguayens en 2021, contre 2.291 en 2020, dans un contexte de répression de l’opposition par le président Daniel Ortega.

Pour, Blaine Bookey, directrice juridique du Centre d'études sur le genre et les réfugiés de l'Université de Californie à Hastings, « la décision du président Biden d'accueillir des réfugiés ukrainiens cherchant la sécurité aux États-Unis est une bonne chose ». Mais, ajoute-t-elle, des questions se posent quant à la priorité accordée aux migrants ukrainiens par rapport à ceux d'Amérique centrale et d'ailleurs : « ce qui se passe à cette frontière revient à instaurer des critères raciaux ».


Cinq migrants d'Amérique centrale, dont un jeune couple guatémaltèque avec un garçon de 3 ans, se sont présentés cette semaine à la limite du campement où attendaient les réfugiés ukrainiens. Ils venaient d'arriver à Tijuana après s'être accrochés à « La Bestia », le train notoirement dangereux qui traverse le Mexique (voir vidéo ci-dessous), et espéraient se reposer sur un brin d'herbe près d'une tente. Ils ont été autorisés à s'asseoir sur l'herbe, mais ils n'ont eu droit à aucune des pâtisseries, jus de fruits et cafés distribués 24 heures sur 24 aux Ukrainiens. A l’entrée de la tente, il était écrit sur un panneau en cyrillique : « Ne laissez pas de nourriture au sol. Empêchez les rats d'entrer ».


(Traduit par Jean-Marc Adolphe et Olivier Schneider et adapté d’un reportage de Miriam Jordan pour le New York Times. Photos Mark Abramson)


COMPLÉMENTS

Mexique : à bord de "la Bestia", le train de marchandises emprunté par les migrants

(Reportage France 24, août 2018)




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