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Risques et périls. Le chemin tortueux de la paix en Colombie / 08



Malgré la signature de l’Accord de Paix voici cinq ans, les assassinats de « leaders sociaux » en Colombie n’ont pas cessé, au contraire. Une hémorragie que le gouvernement ne tente même pas de freiner…


C’est quoi, un leader social ? (au féminin, lideresa social). « Quelqu’un qui défend notre territoire, y compris au risque de sa vie », répond Yisel Carabali, leadere de la communauté afro-colombienne.

Leader social : une expression typiquement colombienne, qui désigne, selon Wikipedia, des personnes « qui représentent un groupe social chargé de : la défense des droits de l'homme, des territoires, de l'environnement, de l'éducation ou de la culture dans les communautés ».

En France, ce pourraient être des militants associatifs, des syndicalistes ouvriers ou paysans, des porte-parole de telle ou telle cause, des responsables de mouvements d’éducation populaire, des lanceurs d’alerte…, mais aussi des conseillers municipaux.

En Colombie, les « leaders sociaux », qu’ils soient défenseurs des droits humains, des communautés indigènes et afro-descendantes, des territoires, de la paysannerie, etc., sont les visages de ce qu’on appellerait ici la « société civile ». Leur rôle et leurs missions sont d’autant plus précieux en Colombie qu’ils et elles viennent en partie combler l’incurie (volontaire) de l’État dans des domaines pourtant essentiels : éducation, santé, environnement, droit des femmes et des minorités, etc. Dans un pays où 40% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, et 15% dans l’extrême pauvreté, et où n’existe quasiment aucune aide sociale, les leaders sociaux sont souvent amenés à orchestrer un minimum de solidarité collective. Enfin, dans des territoires plus ou moins délaissés par l’État pendant les 50 ans de conflit armé, ils et elles jouent un rôle très actif dans l’organisation des conseils communautaires. Ils et elles : sans qu’il existe de chiffre précis, de nombreuses femmes font partie de ces « leaders sociaux », ainsi que des personnes issues des communautés indigènes et afro-descendantes. Dans un pays où les élites politiques et économiques sont quasi-exclusivement masculines, blanches et monoculturelles, ce n’est pas rien.


Être « leader social » en Colombie est pourtant loin d’être une sinécure. Selon la commission Vérité, instituée par l’Accord de Paix, 4.756 d’entre eux ont été assassinés entre 1986 et 2016, au plus fort du conflit armé. Paradoxalement, l’Accord de Paix, signé en novembre 2016, n’a fait qu’empirer la situation : après une brève accalmie, les assassinats ont repris de plus belle (si l’on peut dire). Cinq après la signature de cet Accord de Paix, l’ONG Somos Defensores recense 831 meurtres de défenseur.e.s des droits humains et leader.e.s sociaux/sociales ; la plupart depuis la prise de fonctions du président Iván Duque, en 2018. Et ce chiffre va en augmentant : déjà 162 pour la seule année en 2021.

Cristina Isabel Cantillo, assassinée le 7 décembre 2021.


Dernière en date : Cristina Isabel Cantillo, militante trans de la communauté LGBTIQ+, a été froidement exécutée le 7 décembre chez elle, à Santa Marta, où sévissent plusieurs groupes paramilitaires et de tueurs à gages. Déjà victime de deux attentats et de plusieurs menaces, Cristina Isabel Cantillo avait théoriquement obtenu des autorités régionales une protection rapprochée, qui avait été levée ces derniers jours, selon sa famille. Son activisme LGBTIQ+ avait conduit Cristina Isabel Cantillo à la présidence de la Fondation Calidad Humana, également engagée sur des processus de restitution de terres dans le département du Magdalena. Ce pour quoi, peut-être, elle a été assassinée.

L’assassinat de la plupart des leaders sociaux est le fait de groupes paramilitaires qui agissent pour leur propre compte (narco trafic, exploitations minières illégales), parfois main dans la main avec de puissants potentats régionaux, que l’on n’appelle pas pour des rien des « clans », qui combinent allègrement politique, affairisme et activités criminelles. Le contrôle du territoire est leur principale motivation, et celles et ceux qui, au nom du droit des paysans et des communautés, de l’environnement, etc., se mettent en travers de leur route, deviennent automatiquement des cibles potentielles.

Deux jours avant Cristina Isabel Cantillo, c’est un leader afro de 58 ans, Amado de Jesús Castro, président d’une June d’Action Communale, qui avait été » tué dans le Caldas. Voici une semaine, c’était dans le Valle del Cauca, John Alexander Sierra, un jeune homme de 26 ans, engagé dans un projet intitulé « Entreprises de jeunes ruraux : nouvelles identités et paix territoriale ». Il était « reconnu pour son travail paysan, son esprit critique et sa détermination à dénoncer les injustices », disent ses proches.


Au plus haut sommet de l’État colombien, cette hémorragie de leaders sociaux ne suscite aucune émotion, ne provoque aucune réaction. Même Joe Biden, le 29 janvier dernier, peu après sa prise de fonction, s’était dit « préoccupé par la poursuite des violences à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme, qui jouent un rôle essentiel dans la construction d'une paix juste et durable en Colombie ». Au président Ivan, Duque, ça lui en touche une sans bouger l’autre, comme disait un célèbre ex-président français. Un mois plus tard, en réponse à José Miguel Vivanco, directeur pour les Amériques de Human Rights Watch, le président colombien avait répondu sur un ton badin qu’il y avait 8 millions de leaders sociaux en Colombie, et qu’il était matériellement impossible de tous les protéger.

Ce 7 décembre, dans un communiqué signé à Bogota et Paris, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, le collectif d’avocats Jose Alvear Restrepo et l’ONG Somos Defensores parlent de « morts annoncées » : « Le gouvernement Duque a été alerté, mais n'a pas agi pour empêcher les centaines de meurtres de populations vulnérables. (…) La détérioration de la situation des droits de l'homme dans le pays ainsi que la consolidation et l'expansion de groupes armés de différents types au cours des cinq années d'application de l'Accord de paix montrent que le manque d'application adéquate des dispositions qui y sont inscrites a contribué à une reconfiguration de la violence dans les territoires qui fait courir un risque élevé aux communautés, aux processus organisationnels, aux personnes en cours de réincorporation et aux défenseurs des droits de l'homme, ce qui ne peut passer inaperçu aux yeux de la communauté internationale. » (Lire ICI, en espagnol)

Photo : Le président colombien Iván Duque avec Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur et à l’Attractivité, le 7 décembre 2021 à Bogota.


« Ne peut passer inaperçu » ? Mais si. Le jour même ou Cristina Isabel Cantillo était la 162ème leadere sociale assassinée en Colombie, Franck Riester y était en goguette. Celui qui fut un brillantissime ministre de la Culture est désormais chargé au gouvernement du Commerce extérieur et de l’Attractivité. D’où la petite virée à Bogota, dans la foulée des grands mamours affichés entre Iván Duque et Emmanuel Macron en novembre dernier à l’Élysée. Sans rire, selon le communiqué officiel de France Diplomatie s’en allait « promouvoir l’expertise française dans les infrastructures, les énergies renouvelables, la santé, l’innovation et la ville durable ». Les droits humains, les assassinats de leaders sociaux ? Franchement, entre amis, on ne va pas se fâcher pour si peu.


Jean-Marc Adolphe


Les Cinq ans après de l’Accord de Paix / articles déjà parus :

01 / Sur de bons rails ? Le chemin tortueux de la paix en Colombie. Lire ICI

02 / Juger le passé. La Juridiction pour la Paix. Lire ICI

03 / Savoir et comprendre. Face au miroir de la vérité. Lire ICI

04 / Francisco de Roux : « La vérité est un combat ». Lire ICI

05 / Un travail de fourmi. La recherche des personnes disparues. Lire ICI

06 / Genre et paix. Avec les femmes et la communauté LGBTI, un processus inachevé. Lire ICI

07 / L’oubli indigène. Le chapitre ethnique, confiné sur le papier. Lire ICI



ENQUÊTE DE VERDAD ABIERTA


08/La mise en œuvre de l'Accord de Paix a été fatale pour les leaders sociaux.

Veillée en hommage à des leaders sociaux assassinés.


Différents secteurs appellent à l'arrêt de la violence contre celles et ceux qui se consacrent à la défense des droits humains. Environ 700 leaders sociaux ont été assassinés en Colombie depuis novembre 2016, dans un contexte d'impunité où l'État a sa part de responsabilité.


La situation des leaders sociaux et indigènes en Colombie n'est pas plus favorable depuis que l'État a signé l'Accord de Paix avec l’ex-guérilla des FARC, voici cinq ans déjà. Ces leaders sociaux, qui agissent dans leur travail quotidien au nom des communautés les plus vulnérables, restent confrontés à un contexte menaçant.

La réalité éprouvante à laquelle ils sont confrontés est loin de l'espoir qu’avaient suscité les pourparlers entre le président de l'époque, Juan Manuel Santos (2010-2018), et l’ex-guérilla des FARC, pour mettre fin à plus de cinquante ans de conflit armé. Beaucoup pensaient qu'ils allaient enfin pouvoir mener à bien leur travail social et de défense des droits humains, sans tension ni crainte. Les chiffres montrent une tout autre physionomie.


VIDEO. « Resiste », vidéo de l’ONG Somos Defensores

« Une démocratie qui s'efface, une violence qui ne cesse pas, des défenseurs des droits de l'homme profondément menacés... Malgré tant d'adversités, les droits sont défendus dans la rue. »


Selon l’ONG Somos Defensores, qui recense depuis 2002 toutes sortes d'agressions contre les leaders sociaux, entre le 24 novembre 2016, jour de la signature de l'Accord de Paix, et le 30 septembre 2021, 682 personnes engagées dans la défense des droits de diverses communautés ont été assassinées. Ce bilan prend une dimension encore plus absurde lorsque l'on élargit le spectre temporel : les chiffres révèlent que le processus de paix a fait exploser une vague de violence qui s'est aggravée avec le temps. Pendant les négociations de paix, entre 2012 [au moment où débutent les négociations de paix - NdR], et 2016, le nombre d’assassinats est en augmentation par rapport aux années précédentes, mais ceux-ci connaissent une nette recrudescence à partir de 2017, lorsque commence la mise en œuvre de l'Accord de Paix !


La période dite de post-conflit s’est finalement révélée meurtrière pour les défenseurs des droits humains, et pleine de paradoxes. Ainsi, en 2017, alors que les FARC se sont démobilisées et que le pays enregistre le taux d'homicides le plus bas depuis 40 ans ; à rebours de cette tendance nationale, pour la première fois, le chiffre de 100 leaders sociaux assassinés en une seule année a été dépassé. Et cette tendance se confirme en 2021. Selon le suivi effectué par Somos Defensores, les régions où le nombre de leaders sociaux assassinés depuis la signature de l'accord de paix est le plus élevé sont le Cauca, avec 171 cas ; Antioquia, avec 95 ; Nariño, avec 54 ; Norte de Santander, avec 45 ; Valle del Cauca, avec 45 ; Putumayo, avec 43 ; Chocó, avec 32 ; Caquetá, avec 31 ; Córdoba et Arauca, avec 19 chacun.


Après l’Accord de Paix, le retour de la violence.


Maydany Salcedo est l’une de ces personnes que la signature de l’Accord de Paix avait remplie d’espoir. Leadere paysanne depuis près de deux décennies, elle a fait ses premiers pas dans le champ social en travaillant avec des enfants, avec qui elle avait animé un Círculo de Lectores (cercle de lecteurs) dans le département de Caquetá [au sud-ouest de la Colombie – NdR]. « À partir de ce moment-là », commente-t-elle, « j'ai cessé d'être une simple femme au foyer et j’ai voulu comprendre ce qui se passait dans mon pays ». Elle s’intéresse tout particulièrement à la Constitution Politique de 1991 [Cette Constitution, adoptée au début du mandant du président libéral César Gaviria Trujillo, déclare la Colombie « État social de droit, organisé en République unitaire, décentralisée […], démocratique, participative et pluraliste, fondée sur le respect de la dignité humaine ». Elle garantit la primauté des droits inaliénables de l'homme, la protection de la diversité ethnique et culturelle du pays, l'inviolabilité du droit à la vie, le principe de non discrimination pour quelque motif que cela soit, les droits de la femme et de l'enfant ainsi que ceux des travailleurs – NdR].

Maydany Salcedo s’engage ensuite auprès de la Fédération nationale du syndicat agricole unitaire (Fensuagro). Elle est actuellement la représentante légale de l'Association municipale des travailleurs de Piamonte, dans le Cauca, région où elle est arrivée en 2012, l’année même où débutaient à la Havane les négociations de paix entre le président Santos et les FARC. Cinq ans après la signature de l'Accord de Paix, elle est partagée entre déception et colère. Farouche défenseure des droits liés à la restitution de terres et à la substitution volontaire des cultures illicites, elle raconte qu’après la signature définitive de l’Accord de Paix, en novembre 2016, elle a pu se déplacer sans problème dans différentes régions du Cauca, mais qu’ensuite, les groupes armés illégaux sont revenus et les risques ont augmenté. « Si le gouvernement avait respecté l'Accord de Paix, avec la restitution des terres, l'histoire aurait été différente. Cette absence de volonté politique fait que nous sommes à nouveau confrontés au conflit dans nos territoires. Et les organisations sociales, qui ont porté l’Accord sur leurs épaules, ont été délaissées. »


Ancien responsable de l'Association des conseils communautaires du Nord Cauca, Víctor Moreno fait un constat similaire : « après la signature de l’Accord de Paix, j'ai pu me rendre des endroits où je n'aurais jamais imaginé pouvoir aller. Maintenant, il est presque impossible d'y retourner ». Víctor Moreno a participé à l’élaboration du chapitre ethnique de l’Accord de Paix, lors de la dernière étape des négociations à La Havane et, depuis lors, son association se concentre sur la défense des droits environnementaux des communautés noires. Mais sa préoccupation est également focalisée sur la dégradation de la sécurité dans la région : « Il y a une présence paramilitaire accrue sur le territoire. Ainsi, dans le secteur de Mazamorrero [près de Santander de Quilichao, au nord du Cauca], pratiquement toutes les familles ont dû quitter le territoire à la suite de combats et parce qu'une personne de la dissidence (des anciennes FARC) a été assassinée à proximité. Ces familles restent dispersées, et je ne vois pas de plan de retour… » [dans le secteur de Mazamorrero, plusieurs groupes armés se disputent le contrôle du narcotrafic et d’activités minières illégales. 85 familles, soit 182 personnes en tout, ont dû quitter précipitamment leur territoire, le 28 juillet dernier – NdR].



« La signature de l’Accord de Paix a généré beaucoup d'attentes et beaucoup de désir. (…) Avec le président actuel, l'Accord est déchiré en lambeaux.»

Ana Deida Secué, leadere indigène du peuple Nasa.




Leadere indigène du peuple Nasa, membre du Conseil régional indigène du Cauca (CRIC), Ana Deida Secué travaille depuis plus de 20 ans au service de ses communautés. Elle aussi témoigne de l'optimisme qui régnait lors des pourparlers de paix : « En quatre ans de négociation, cela a généré beaucoup d'attentes et de désirs. Nous avons travaillé sur cet accord de paix pour qu'il se concrétise en Colombie, non sans quelques inquiétudes, qui sont devenues réalité. (…) Avec le président actuel, l'Accord de Paix est déchiré en lambeaux.»

« Dans de nombreux cas », poursuit Feliciano Valencia, sénateur du Mouvement alternatif indigène et social (MAIS), « des territoires entiers ont été laissées à la merci d’une kyrielle de groupes armés, dont beaucoup entretiennent le trafic de drogue. Or, ces terres, ces zones et ces régions sont des territoires ancestraux que les communautés indigènes tentent de protéger et de préserver : il s’agit d'écosystèmes fragiles et d’aires de protection environnementale. Souvent, ce sont des zones boisées, montagneuses ou difficiles d’accès, qui ont servi de refuge à la guérilla tout au long du conflit armé, où les institutions publiques étaient absentes. Depuis l’Accord de Paix et la démobilisation des FARC, les communautés indigènes sont devenues des cibles beaucoup plus exposées. Face à une violence qui se dégrade de plus en plus, le contrôle territorial qu’elles tentent d’instaurer nécessite l'accompagnement de l'État. Nous n'entendons pas par-là davantage de présence militaire, car elle est abondante. Et dans certaines municipalités qui comptent le plus grand nombre de soldats, c’est aussi là où la violence est le plus forte ! L’accompagnement de l’État nécessite une politique globale, qui garantisse les droits fondamentaux tels que la santé, l'éducation, le travail, et qui puisse offrir aux jeunes de réelles opportunités, autres que celles d'être recrutés par l'armée et la police, ou encore par des groupes armés illégaux. »


Le risque d'exposition


Comme en témoignent Maydany Salcedo, Víctor Moreno et Ana Deida Secué, la première année qui a suivi la signature de l'Accord de Paix a généré un sentiment de tranquillité et de sécurité qui a conduit de nombreux leaders sociaux et ethniques à s'exprimer publiquement en faveur des accords conclus à La Havane et à renforcer leur mise en œuvre, mais ceux qui étaient opposés à l’Accord de Paix se cachaient dans l'ombre.


« Lorsque l'Accord de Paix a été signé, les leaders sociaux ont commencé à sortir au grand jour, à se rendre visibles, et même certains qui n'avaient jamais quitté leur village sont alors devenus des cibles. »

Arnobis Zapata, porte-parole de la Coordination nationale des cultivateurs de coca, de pavot et de marijuana.


Arnobis Zapata, un leader paysan du sud de Córdoba [riverain de la mer des Caraïbes, le département de Córdoba est situé dans le nord du pays – NdR], qui a travaillé dur pour se positionner en tant que coordinateur territorial de l'Association paysanne régionale, président de l'Association nationale des zones de réserve paysanne et porte-parole national de la Coordination nationale des producteurs de coca, de pavot et de marijuana, témoigne des risques engendrés par cette situation : « Lorsque l'Accord de Paix a été signé, les leaders sociaux ont commencé à sortir au grand jour, à se rendre visibles, et même certains qui n'avaient jamais quitté leur village sont alors devenus des cibles. » L'absence d'une action rapide de l'État pour sécuriser les territoires abandonnés par les ex-FARC, le réarmement de certains ex-guérilleros et l'atomisation des groupes armés illégaux qui avaient intérêt à entraver la mise en œuvre de l'Accord de Paix, ont mis sur la brèche ces leaders sociaux.

« Aujourd'hui, la situation est très compliquée », souligne Arnobis Zapata : « Après tous les assassinats qui ont eu lieu, de nombreux leaders ont préféré se retirer. Quelques-uns d'entre eux sont soumis aux règles imposées par les groupes armés. D'autres, qui s’y sont opposés, ont dû s’exiler ». (…)


L'État protège-t-il ?


Faisant référence à une récente session de la Table permanente de concertation, qui s'est tenue à Bogota, le sénateur Feliciano Valencia ajoute : « Les délégués du ministère de l'Intérieur, face aux demandes de sécurité des communautés, ont invoqué le Plan d'action propice (PAO), publié en 2018, en affirmant qu'il s'agit du principal outil pour fournir des garanties de sécurité aux leaders sociaux [Le « Plan de Acción Oportuna » est défini comme « une stratégie basée sur l'identification, la prévention des situations à risque, et la réponse articulée des différentes entités étatiques, en fonction des dynamiques territoriales » – NdR]. Finalement, le gouvernement se dit que cette violence croissante, les meurtres, les massacres, auraient pu être encore pires. C'est infâme, car chaque vie perdue aurait dû être protégée. On ne peut pas être d'accord avec le gouvernement pour dire que les mécanismes de protection et les garanties de sécurité fournis par le PAO ont été suffisants. »



« Le travail des leaders sociaux a été longtemps stigmatisé par « l’establishment » qui les a associés aux mouvements de guérilla. »

Diana Sánchez, directrice de l’association Minga.




L'institution responsable de la sécurité des défenseurs des droits de l'homme est l'Unité de protection nationale (UNP), rattachée au ministère de l'Intérieur. Dans le cas où une personne ou une communauté est victime de menaces en raison de ses activités politiques, publiques, sociales ou humanitaires, elle peut demander une évaluation de la situation afin de déterminer le type de dispositif de sécurité dont elle a besoin, en application de la réglementation en vigueur. En ce qui concerne la mise en œuvre de l'Accord de Paix, l'Institut Kroc, chargé du suivi de son application, souligne que cette Unité de Protection Nationale a renforcé sa sous-direction spécialisée avec l'incorporation de 40 analystes de risques et 686 hommes et femmes affectés à la protection.

Diana Sánchez, directrice de l’association Minga [organisation de défense des droits humains, liée au mouvement social, qui contribue à la création des conditions d'une vie digne dans les territoires et les communautés de Colombie – NdR] a une position critique vis-à-vis de cette l'Unité de protection nationale : « Je n'ai jamais été d'accord avec le fait que nous ayons une accumulation de dispositifs de sécurité. A quoi me servira le « bouton d’alerte » [un système d’alarme relié à un centre de sécurité – NdR] si on me tire une balle dans le dos ? Il faut des garanties constances et un changement de contexte pour ne pas avoir à recourir à ces dispositifs. »

« Les leaders sociaux », ajoute-t-elle, « portent la bannière d'une meilleure qualité de vie, mais leur travail a été longtemps stigmatisé par « l’establishment » qui les a associés aux mouvements de guérilla. »


Le sénateur Feliciano Valencia, quant à lui, reconnaît que l'État a prévu certains mécanismes pour la sécurité et la protection des leaders sociaux, mais « la réalité des chiffres nous montre que ces mécanismes ne fonctionnent pas ». (…) Malgré tout, les leaders sociaux et ethniques continuent à travailler dans leurs régions pour défendre les droits de leurs communautés et de l'environnement.



« Si je dois y laisser la vie, je préfère que ce soit debout plutôt qu’à genoux ».

Maydi Salceno, paysanne-militante, représentante de l'Association municipale des travailleurs de Piamonte, dans le Cauca.




Maydany Salcedo éclate en sanglots lorsqu'elle tente de répondre aux raisons pour lesquelles des personnes comme elle sont menacées : « Nous, les leaders paysans, les leaders sociaux et les défenseurs des droits, nous ne faisons de mal à personne. (…) Ici, nous protégeons 1.680 hectares de forêt primaire ; nous protégeons 160 hectares de forêt de chaume en cours de restauration. Nous avons une usine de transformation de produits amazoniens, nous travaillons avec des communautés qui s'engagent à changer. (…) Nous enseignons les droits de l'homme, nous enseignons la protection de l'environnement, nous enseignons l'équité entre les sexes, nous avons des écoles pour les jeunes, avec des ressources qui proviennent parfois de la paysannerie. Alors, je ne comprends pas pourquoi ils nous cherchent à nous tuer, pourquoi ils nous menacent, pourquoi ils nous persécutent. Je ne fais de mal à personne, je prends soin de la Terre Mère. Nous voulons défendre l'Accord de paix et nous allons le défendre avec notre cœur et notre âme ». Et elle ajoute : « Si vous devez donner votre vie, il vaut mieux le faire debout qu'à genoux ».


Pour lire in extenso l’article de Verdad abierta

En espagnol : ICI

En anglais : ICI


VIDEO. "La Gran Juntanza, chronique d'un pays en résistance", vidéo de l’association Minga (en espagnol)


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