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Le ballet des hydrocarbures, nouvelle danse du ventre


Boris Johnson et le prince héritier Mohammed ben Salmane, le 16 mars dernier à Riyad.


La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie poussent les pays riches à « diversifier » leurs approvisionnements. Quitte à pactiser avec des régimes honnis et des pays qui ne sont pas forcément des modèles de démocratie. Mais face aux hydrocarbures, que pèsent les droits de l’homme ?


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« -La folle : Que cherchent-ils? Ils ont perdu quelque chose ?

- Pierre : Ils cherchent du pétrole.

- La folle : Curieux! Qu'est-ce qu'ils veulent en faire ?

- Pierre: Ce qu'on fait avec du pétrole. De la misère. De la guerre.

De la laideur. Un monde misérable. »

(Jean Giraudoux, La Folle de Chaillot, 1945)



Salaud de Poutine, il casse la barque d’Occident.

Jusqu’ici, tout allait bien. Franchement, que valaient droits de l’homme et autres balivernes face aux milliers de tonnes d’hydrocarbures importés dont se dopent nos économies en surrégime ? Même l’agression en Géorgie, l’occupation de la Crimée (et avant cela, les bombardements en Syrie, en Tchétchénie), c’était supportable moyennant quelques dénonciations de façade assorties de sanctions dignes d’une dramaturgie d’opérette. En plus, les mafieux oligarques de la galaxie investissaient dans nos clubs de foot, dans l’art contemporain (comme la fondation Potanine au Centre Pompidou), et claquaient une partie de leur pognon dans nos stations de sports d’hiver et sur la Côte d’Azur. C’était gagnant-gagnant. D’accord, ils s’arrangeaient pour échapper à l’impôt, mais comme pourrait dire Macron-McKinsey, « on ne va quand même pas taxer toute la richesse du monde » (ni davantage accueillir une partie de la misère du même monde).

Mais là, sans déconner, Poutine va trop loin. Se mettre le Donbass dans l’escarcelle, passe encore, on aurait « condamné avec la plus grande fermeté » avant de passer au sujet suivant. Mais TOUTE l’Ukraine !!! Kharkiv, Marioupol, bientôt Odessa et Kiev, quelle mouche l’a piqué ? En plus, les Ukrainiens résistent, ça fait du grabuge. Sans compter que c’est pas comme en Syrie ou en Tchétchénie, là, il y a des photos, des reportages et des témoignages. Et des réfugiés en pagaille, des réfugiés « comme nous », on ne peut même pas trop dire que s’y cacheraient des « terroristes » pour restreindre le droit d’asile au moins-que-compte-gouttes.

Résultat : à part TotalÉnergies, qui résiste héroïquement à l’injonction d’embargo, les vannes se ferment. Adieu pétrole, gaz et tutti quanti. Sérieusement, comment on va faire pour continuer à destroyer la planète ?


Heureusement, a commencé un grand spectacle diplomatico-commercial : le BALLET DES HYDROCARBURES. C’est une sorte de danse du ventre, donc un peu orientale sur les bords, avec force salamalecs dans la chorégraphie. Et quelques serpents venimeux à charmer. L’Europe est encore en retard d’une contredanse, des experts essaient de voir s’il n’y aurait pas de possibles gisements cachés au Liechtenstein ou en principauté d’Andorre. Comme d’hab, l’Oncle Sam est encore aux commandes. En vue d’une victoire à la Pyrrhus, c’est une danse qui commence à la Marius, donc à petits pas [pour les incultes : Marius Petipa, né le 11 mars 1818 à Marseille, mort le 14 juillet 1910 à Gourzouf en Crimée, a fondé à Saint-Pétersbourg l'école russe de ballet. C'est au sein des théâtres Bolchoï Kamenny, puis Mariinsky, que Marius Petipa va inventer un nouvel art du ballet, au fil d'une soixantaine de créations, dont Le lac des cygnes, La bayadère, Casse-noisette, La belle au bois dormant, etc.)

Mercredi 16 mars, Nazanin Zaghari-Ratcliffe et Anoosheh Ashoori, deux citoyens irano-britanniques détenus à Téhéran depuis 2016 et 2017, ont été libérés par le régime des Mollahs. Comme par miracle, les sanctions économiques qui pèsent sur l’Iran n’ont cette fois-ci pas empêché le Royaume Uni, après de multiples tentatives, de verser la coquette somme de 400 millions de livres sterling. En libérant ces deux otages, selon Allan Hassaniyan, de l’Institut d’études arabes et islamiques de l’université d’Exeter, « les Iraniens envoient un message qu’ils veulent s’engager dans ce nouveau système international ». Prochaine étape : les « grandes puissances » et l’Iran pourraient parvenir prochainement à sauver l’accord sur le programme nucléaire iranien, conclu en 2015 à Vienne et que Donald Trump avait mis à mal en mai 2018. Cet accord à venir permettrait in fine de lever les sanctions qui pèsent sur l’Iran et de pouvoir ainsi accéder à son or noir. L’Iran, assis sur de gigantesques réserves, est perçu comme ayant « un gros potentiel » pour contribuer à la stabilité du marché énergétique, selon Seyed Ali Alavi, de l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS) de l’université de Londres. Et justement, début mars, Téhéran s’était dit prêt à augmenter sa production de brut dès la levée des sanctions américaines à l’issue des discussions sur le nucléaire.


Autre levée de sanctions en vue : après avoir mis au ban des échanges commerciaux le Venezuela de Nicolas Maduro, les États-Unis se sont mis à faire les yeux doux au régime jusque-là honni. Le 5 mars dernier, des émissaires de Joe Biden et Nicolas Maduro se sont discrètement rencontré à Caracas. Trois jours plus tard, deux détenus de nationalité américaine incarcérés au Venezuela, Gustavo Cardenas (ancien cadre de Citgo, la filiale aux Etats-Unis de l’entreprise pétrolière vénézuélienne) et Jorge Fernandez, étaient opportunément libérés. Et le président vénézuélien se disait prêt à reprendre le dialogue avec son opposition. L’administration américaine « assure, sans convaincre, que le pétrole n’était pas au cœur de la rencontre du 5 mars à Caracas », écrivait Le Monde du 12 mars. (Lire également, sur RFI, « Embargo sur le pétrole russe: le Venezuela, une alternative envisagée par les États-Unis »).


Joe Biden et le président colombien Ivan Duque, le 10 mars à la Maison blanche


Ce rapprochement entre États-Unis et Venezuela avait toutes les chances d’énerver la Colombie, dont l’actuel président Ivan Duque ne passe pas un jour sans se fendre de déclarations incendiaires et complotistes contre le régime de Maduro. Or, la Colombie dispose aussi d’importes réserves d’hydrocarbures, y compris de gaz de schiste, dont l’exploitation suppose de faire appel à la technique hautement controversée du fracking. Pas question, pour les Etats-Unis, de sacrifier les bijoux de famille. Le 10 mars dernier, Joe Biden a reçu en grande pompe, à la Maison Blanche, le président colombien. Selon RFI, « les deux hommes n’ont pas évoqué publiquement le dossier qui ternit les relations entre les deux pays ces derniers jours, à savoir le rapprochement d’abord discret, mais qui s’est ébruité entre les États-Unis et le Venezuela ». En revanche, Joe Biden et Ivan Duque « ont fait assaut d’amabilités ». En bref : les États-Unis ont décidé de faire de la Colombie un allié majeur hors de l’Otan. Les crimes commis par la police colombienne lors du dernier printemps social (plus de 80 mors), le non-respect par le gouvernement colombien de l’Accord de Paix, les assassinats de leaders sociaux, protecteurs de l’environnement, membres de communautés indigènes (pourtant documentés et dénoncés par de nombreuses ONG), les multiples scandales de corruption et de narcotrafic où sont mêlées des personnalités du pouvoir colombien ? On ne va quand même se fâcher pour si peu. La Colombie restera donc un « allié majeur » des États-Unis. De nombreuses multinationales, notamment américaines, pourront ainsi contribuer de piller le sous-sol et les ressources d’un pays où, en dépit de telles richesses, la majeure partie de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, sans accès à l’éducation ou à la santé.


S’il n’y avait que les États-Unis… Le non-européen Boris Johnson, pour faire oublier ses beuveries en pleine crise du Covid, s’en est allé le 16 mars rencontrer en Arabie Saoudite l’un des hommes les plus « sobres » de cette planète, le prince héritier Mohammed ben Salmane. Oublié, l’assassinat commandité par Riyad du journaliste Jamal Khashoggi (Lire ICI).

La « stabilité du marché mondial de l'énergie », selon les mots du communiqué officiel, commande de mettre sous le tapis des sujets qui pourraient fâcher. « C’était une conversation très productive », a commenté Boris Johnson à l’issue de son entrevue avec Mohammed ben Salmane. Quelques jours plus tôt, l’Arabie Saoudite avait procédé à l’exécution massive de 81 personnes, suivi de trois autres exécutions alors même que Boris Johnson se trouvait à Riyad. Pour Maya Foa, directrice du groupe de défense des droits humains Reprieve : « En voyageant pour rencontrer Mohammed ben Salmane si peu de temps après une exécution massive, Boris Johnson a clairement indiqué qu’en échange de pétrole, le Royaume-Uni tolérera même les plus graves violations des droits humains. Procéder à ces exécutions alors que le chef d’une puissance occidentale se trouve sur le sol saoudien était un acte de provocation, conçu pour faire étalage du pouvoir et de l’impunité du prince héritier au monde. » Il en fallait plus pour démonter l’ébouriffant Premier ministre britannique, qui a cru bon de déclarer : « malgré cette nouvelle, les choses changent en Arabie saoudite ». CQFD.


Jean-Marc Adolphe

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