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Juger le passé. Le chemin tortueux de la paix en Colombie / 02



Cinq ans après la signature de l’Accord de Paix entre l’État colombien et la guérilla des FARC, censé mettre fin à un conflit armé de 50 ans particulièrement meurtrier, où en est-on ? Le second volet de l’enquête au long cours de Verdad Abierta se penche sur la Juridiction Spéciale pour la Paix, une instance ad-hoc créée par l’Accord de Paix et qui, malgré les entraves, parvient à faire entendre le droit des victimes. Toutes les victimes.


En Afrique du Sud, à la fin du régime d’apartheid, la Commission de la Vérité et de la Réconciliation a entendu 22.000 victimes de l’apartheid et 7.000 tortionnaires. En Colombie, la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP), instaurée par l’Accord de Paix signé en 2016 entre l’État colombien et l’ex-guérilla des FARC, a d’ores et déjà rendu plus de 50.000 décisions. Et ce n’est pas fini. Face à l’ampleur ce qui est à juger, la Juridiction Spéciale pour la Paix doit poursuivre ses travaux jusqu’en 2037 !

La reconnaissance des victimes et leur droit à réparation fonde la démarche de cette Juridiction Spéciale pour la Paix. Toutes les victimes. Qu’il s’agisse de l’assassinat des militants progressistes et communistes de l’Union Patriotique à la fin des années 1989 (photo en tête d’article), des 19.000 enfants et adolescents recrutés de force dans les rangs des FARC, des victimes de violences sexuelles, des paysans et indigènes déplacés de leurs terres, des graves violations des droits humains subies par les peuples indigènes et les communautés noires et afro-colombiennes ; mais aussi des militaires et autres agents de l’État colombien impliqués dans le scandale des « faux positifs » (lire sur Wikipedia) : plus de 6.000 cas de civils totalement étrangers au conflit armé, enlevés et assassinés par les « forces de sécurité publique » puis faussement présentés comme combattants des FARC pour semer la terreur et gonfler artificiellement les chiffres de la lutte anti-guérilla. Dès 1995, le gouvernement des États-Unis, soutien inconditionnel du régime colombien, était informé de cette pratique d’exécutions sommaires et extrajudiciaires, « courante au sein de l’armée », ainsi que des liens entre forces militaires et commandos paramilitaires d’extrême-droite.

Il est peu probable que l’instruction de la Juridiction Spéciale pour la Paix remonte jusqu’aux responsables états-uniens qui ont fermé les yeux, et peut-être encouragé, au nom de l’anti-communisme, ce qui peut être qualifié de crime contre l’humanité. Mais un nom est sur toutes les lèvres, celui de l’ex-président d’ultra-droite Álvaro Uribe, surnommé le « président Téflon », en raison de toutes les affaires où son nom a été cité, sans avoir jamais été égratigné par des poursuites judiciaires (voir le premier chapitre de la série de Daniel Mendoza Leal, Matarife, en français : https://youtu.be/kMbF4fhNiRg). C’est sous son règne, entre 2002 et 2010, que l’on recense le plus de cas de « faux positifs ».

« Qui a donné l’ordre ? » / « ¿Quién dio la orden? ». Ce slogan en forme de lancinante question, lancé par le Mouvement des Victimes de Crimes d’État, a encore résonné tout au long du mouvement social qui a secoué la Colombie entre mai et juillet (et qui a connu, lui aussi, son lot de crimes, de violences policières et d’atteintes aux droits humains).

C’est grâce à la détermination d’une poignée de femmes qu’a véritablement éclaté en Colombie le scandale des faux positifs. On les appelle les Mères de Soacha. Depuis 2008, elles dénoncent sans relâche la mort de 19 jeunes de la commune de Soacha, voisine de Bogota, et de la localité populaire de Ciudad Bolívar, au sud-ouest de la capitale, mystérieusement enlevés du jour au lendemain, avant que leurs corps ne soient retrouvés quelques jours plus tard à des centaines de kilomètres de là, dans le département du Nord de Santander et présentés par l'armée comme des guérilleros morts au combat.

L’une de ces Mère Courage, Jacqueline Castillo, aujourd’hui représentante de l’Association des Mères de Faux Positifs, se déclare aujourd’hui satisfaite du travail de la Juridiction Spéciale pour la Paix, « qui n’aurait pas été possible dans le cadre du système judiciaire ordinaire. » L’ex-président Álvaro Uribe a, comme il se doit, contesté la légitimité de cette instance créée par l’Accord de Paix. Et son successeur et dauphin désigné, l’actuel président Iván Duque, a bien tenté d’en affaiblie la portée. Peine perdue. Même s’il reste des voix discordantes, la Juridiction Spéciale pour la Paix, totalement indépendante du pouvoir exécutif, poursuit ses auditions et son travail d’enquête. On l’a dit, plus de 50.000 décisions ont d’ores et déjà été rendues. Dans le cadre d’un Accord de Paix qui, sur d’autres sujets, patine encore (Lire ICI le premier volet de l’enquête de Verdad Abierta), c’est un évident motif de satisfaction.

Dans un pays où les passe-droit (corruption des élites) et le non-droit (santé, éducation, injustices sociales) restent aujourd’hui encore la norme dans de nombreux secteurs, il n’est pas indifférent qu’à la fin, le droit… reprenne ses droits.

Jean-Marc Adolphe


ENQUÊTE DE VERDAD ABIERTA


02 / La Juridiction pour la Paix avance, malgré les entraves.


En moins de quatre ans, la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) a rendu plus de 50.000 décisions judiciaires, ce qui contredit bon nombre des critiques formulées par les secteurs défavorables à ce scénario de justice transitionnelle.


« Il ne s'agit pas de détruire ou de briser les accords, mais d'y apporter des modifications », déclarait Iván Duque en janvier 2018, alors qu'il n’était encore que candidat à la présidence de la Colombie et qu'il exposait ses critiques vis-à-vis de la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP). Une fois élu, il a tenté d’en entraver la mise en œuvre, mais cette entité fonctionne et montre des progrès. C'est du moins l'avis de certaines sources consultées qui, au-delà des chiffres et des données, reconnaissent que, même avec des retards et au milieu du dur contexte sociopolitique dans lequel vit la Colombie, cette juridiction transitoire progresse. D'autres, plutôt critiques, soutiennent que, par principe, l'accord de paix était illégitime et que, par conséquent, tout ce qui en découle l'est aussi.


Avec l'Unité de recherche des personnes disparues et la Commission de clarification de la vérité, la Juridiction Spéciale pour la Paix est l'une des composantes du système de vérité, justice, réparation et non-répétition, inscrite dans l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable signé à La Havane entre l'État colombien et la guérilla des FARC, et entériné à Bogota le 24 novembre 2016. Son objectif essentiel est de « satisfaire le droit des victimes à la justice, d'offrir la vérité à la société colombienne, de protéger les droits des victimes, de contribuer à la réalisation d'une paix stable et durable et d'adopter des décisions qui accordent la pleine sécurité juridique à ceux qui ont participé directement ou indirectement au conflit armé. »


Cette entité, créée par une loi du 1er avril 2017, est appelée à fonctionner pour une durée maximale de 20 ans. Elle est chargée d'entendre et de juger les faits commis avant le 1er décembre 2016, « en relation directe ou indirecte avec le conflit armé, par ceux qui y ont participé, notamment en ce qui concerne les faits considérés comme des violations graves du droit international humanitaire ou des violations graves des Droits de l'Homme. »


Quatre ans après l'entrée en vigueur de la Juridiction Spéciale pour la Paix, l’appréciation de son travail oscille entre le soutien des organisations de victimes et des organismes internationaux, et l'opposition de ceux pour qui il s'agit d'un modèle judiciaire « taillé sur mesure » pour les ex-FARC. Le chemin à parcourir est encore long et les débats intenses.


Exécutions extrajudiciaires, « faux positifs » : «Quand la juridiction Spéciale pour la Paix a avancé le chiffre de 6.402 cas documentés, cela a prouvé qu'il ne s'agissait pas de cas isolés». Jacqueline Castillo, représentante des Mères de faux positifs. Photo Carlos Saavedra




Dans la première affaire traitée par la JEP, huit membres de l'ancien secrétariat des FARC ont été accusés de crimes contre l'humanité, notamment d'esclavage, et ils ont été déclarés responsables de 21.396 cas de privation de liberté. Lors de la seconde affaire, dix militaires et un civil ont été accusés de crimes de guerre, d'homicide sur personne protégée, de crimes contre l'humanité, d'assassinats et de disparitions forcées, portant sur les nombreuses exécutions extrajudiciaires, tout en reconnaissant que ces meurtres faisaient partie d’une pratique systématique généralisée. « Nous avons été très satisfaits du travail effectué par la JEP, qui n’aurait pas été possible dans le cadre du système judiciaire ordinaire. Quand ils ont avancé ce chiffre de 6.402 cas documentés, cela a prouvé qu'il ne s'agissait pas de cas isolés », déclare Jacqueline Castillo, représentante des Mères de Faux Positifs (MAFPAPO) [plus connues comme « Mères de Soacha », en références aux Mères de la Place de Mai en Argentine, LIRE ICI]


VIDEO (en espagnol). La Juridiction Spéciale Pour la Paix enquête sur les décès présentés illégitimement comme des victimes de combats.


Adriana Arboleda, porte-parole du Mouvement national des victimes de crimes d'État (MOVICE), souligne que la JEP a pris des décisions importantes, comme l'approbation de mesures de protection de 17 lieux où les corps des victimes de disparition forcée sont présumés se trouver. En coordination avec l'Unité de recherche des personnes disparues, cette décision a permis d'apporter une réponse plus efficace aux familles de victimes.


L'Institut Kroc de l’Université Notre-Dame [l'un des principaux centres mondiaux d'étude des causes des conflits violents et des stratégies de paix durable - NdR], qui supervise la mise en œuvre de l'Accord de Paix, met en lumière dans l’un de ses derniers rapports, des actions telles que la validation des cas de cinq personnes de la communauté LGBT dans plusieurs municipalités du nord du Cauca ; la reconnaissance en tant que victime du Parti Communiste [dans le cadre de la brutale répression contre l’Union Patriotique, à la fin des années 1980, qui fit entre 3 600 et 5 000 victimes, et parmi elles, huit parlementaires, des centaines de maires et de dirigeants du mouvement, et deux candidats présidentiels -NdR] ; des actions pour garantir la participation des victimes aux processus d’enquêtes ; et le lancement d’un protocole pour créer une relation avec les propres instances des peuples et communautés noirs, afro-colombiens, Raizales [un groupe ethnique afro-caribéen de l'archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, dont les membres parlent une langue créole basée sur l’anglais - NdR] et Palenqueros [communauté composée de descendants d’esclaves qui se sont émancipés et se sont réfugiés dans les territoires de la côte nord de la Colombie à partir du XVe siècle-NdR].

Ce dernier point est soutenu par Rosana Mejía, conseillère principale de l'Association des conseils communautaires du nord du Cauca. Selon elle, la JEP « a reconnu le rôle des mécanismes d'autonomie et nous avons été pris en compte. Nous ne pouvons pas nier cela. La participation ethnique a été importante. »

Pour sa part, dans le troisième rapport de suivi de l'Accord de Paix, publié en août de cette année, le Bureau du Procureur général de la nation souligne le développement organisationnel de la Juridiction Spéciale pour la Paix, les progrès réalisés dans les sept « macro-cas » ouverts à ce jour [les « macro-cas » désignent les actes les plus graves du conflit armé colombien – NdR], les mesures de précaution et de protection, la participation des victimes dans le contexte de la pandémie, l'accent mis sur l'égalité des sexes au niveau institutionnel et la coordination avec la justice ordinaire.


L'équipe juridique de la Coalition contre l'implication d'enfants et d'adolescents dans le conflit armé en Colombie considère que cette juridiction transitoire est « la meilleure opportunité dont dispose l'État colombien pour combattre l'impunité qui a historiquement caractérisé les enquêtes sur le recrutement illégal d'enfants dans le cadre du conflit armé » et estime positivement un travail qui a conduit à des procédures judiciaires qui auraient été inimaginables autrement.

Par ailleurs, le Secrétariat technique chargé de la vérification internationale de l'Accord final, composé du Centre d’Investigation et d’Éducation Populaire et du Centre de Ressources pour l’Analyse de Conflits, souligne que la méthodologie utilisée par la JEP permet, entre autres, de mettre en évidence les interconnexions entre les « macro-cas », indépendamment du temps et du lieu, avec les schémas de violence, les responsabilités des différentes parties impliquées, la reconnaissance des faits et la participation effectives des victimes.

Ceci est notamment illustré par les décisions prises dans les cas 01 (sur les prises d'otages et autres privations graves de liberté commises par les FARC) et 03 (concernant les décès présentés illégitimement comme des victimes de combat par des agents de l'État).

Dans le premier cas, huit membres de l'ancien secrétariat des FARC ont été accusés de crimes contre l'humanité, y compris le crime récemment ajouté d'esclavage, et de la comptabilisation de 21.396 victimes de privation de liberté. Dans le second cas, dix militaires et un civil ont été accusés de crimes de guerre (homicides sur des personnes protégées), et de crimes contre l'humanité (assassinats et disparitions forcées) : comme déjà dit, la Juridiction Spéciale pour la Paix fait état de 6.402 victimes d'exécutions extrajudiciaires [les « faux positifs » -NdR] résultant d'une pratique systématique et d'une politique criminelle généralisée.


VIDEO (en espagnol). Entretien avec les Mères de Soacha.

« Nous sommes plutôt satisfaites du travail effectué par la JEP », dit Jacqueline Castillo, représentante des Mères des Faux Positifs : « Notre participation a été admise, ce qui n'était pas le cas dans le système de justice ordinaire. Et quand ils ont donné ce chiffre de 6.402 cas documentés [de victimes d’exécutions extrajudiciaires], cela prouvait bien qu'il ne s'agissait pas de cas isolés. »


Le secrétariat technique de la JEP a enregistré l’assujettissement de 12.993 personnes à la juridiction spéciale (dont 9.810 FARC, 3.029 agents des forces de sécurité, et 142 autres agents de l'État). Pour Bernardita Pérez, professeure à la faculté de droit de l'université d'Antioquia et avocate constitutionnelle, tous les efforts déployés par la JEP sont importants, en particulier ceux liés aux macro-cas. Pour renforcer son argumentation, elle compare avec le processus de paix sud-africain, qui s'est déroulé entre 1996 et 1998 [en Afrique du Sud, la Commission de la Vérité et de la Réconciliation a entendu 22.000 victimes de l’apartheid et 7.000 tortionnaires – NdR], en soulignant certains des chiffres obtenus jusqu'à présent, qu'elle qualifie de résultats « extraordinaires » : plus de 50 000 décisions judiciaires adoptées ; 13.258 personnes ayant signé un acte d'engagement et d’assujettissement ; 17.489 décisions judiciaires adoptées dans la Chambre d'Amnistie ou de Pardon [qui décide de renoncer aux actions pénales, conformément à la Loi d’Amnistie de 2016 - NdR] ; et 19.641 décisions judiciaires adoptées dans la Chambre de Définition des Situations Juridiques [qui statue au cas par cas de la suite des instructions - NdR]. De tels chiffres reflètent, selon Camila Moreno, directrice en Colombie du Centre international pour la justice transitionnelle, l’immense défi que la Juridiction Spéciale pour la Paix doit relever face à l’ampleur des faits et au nombre massif de personnes impliquées. « Ce qui est en jeu », ajoute-t-elle, « c'est la capacité de l'État colombien à garantir des poursuites significatives, alors que nous parlons de centaines de responsables, de milliers de victimes, de milliers d'événements qui ne seront jamais éclaircis un par un. Il est très important de le répéter et que cela fasse partie de la pédagogie dispensée par la JEP, parce que c’est ce côté massif qui va être jugé. S’il s’agissait de traiter un par un les cas individuels, cela prendrait plusieurs centaines d'années ! »


Malgré les difficultés du contexte politique et la complexité de la création d'une telle institution en Colombie dans le cadre de l'Accord de Paix, Camila Moreno considère que le travail de la JEP est positif, notamment parce qu'il y a d’ores et déjà eu des décisions de fond, avec certaines mises en accusation. Son modus operandi, ajoute-t-elle, est globalement bien compris et accepté par les victimes, les ex-combattants des FARC et aussi par certains militaires de rang. Une marque importante de reconnaissance des travaux de la Juridiction Spéciale pour la Paix est récemment venue de Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale. Après avoir considéré que les processus de justice transitionnelle à l'encontre des anciens membres des FARC et des forces de sécurité sont sur la bonne voie pour garantir la justice aux victimes du conflit armé, il a décidé de suspendre l'examen préliminaire des violations des droits de l'homme que la Cour pénale internationale menait sur la Colombie depuis 17 ans.

Julieta Lemaitre, une des magistrates de la Juridiction spéciale pour la paix, le 13 juillet 2018 à Bogota.

Photo Raul Arbodela / AFP


Voix discordantes


« La réparation des victimes est au cœur de l'Accord général pour la cessation du conflit et la construction d'une paix stable et durable ». Tel est l'esprit qui sous-tend l'Accord de paix et, a fortiori, la Juridiction Spéciale pour la Paix.

Mais les victimes des ex-FARC ont-elles été écoutées et prises en compte ? Certaines organisations de la société civile sont fort critiques à ce sujet. L'une d'entre elles est l'Association colombienne des officiers retraités des forces militaires (ACORE). Son président, le colonel à la retraite John Marulanda, considère que la JEP, la Commission de la vérité et l'Unité de recherche des personnes disparues sont des organes « issus d'un accord qui a été rejeté par une majorité de Colombiens lors d'un vote large, clair et démocratique. Ils manquent donc de légitimité, même s'ils sont légalisés. »

La Fédération colombienne des victimes des FARC (FEVCOL), représentée par Sebastián Velásquez, estime pareillement que l'Accord de Paix et la JEP sont illégitimes, et remet en question plusieurs de ses décisions, notamment l'inclusion des exécutions extrajudiciaires [les « faux positifs »], et la victimisation des membres de l'Union Patriotique. Sebastián Velásquez critique en outre une « portée territoriale limitée » qui se concentrerait sur quelques municipalités, « comme si les FARC n'avaient pas été présentes dans toute la Colombie. » (…)


Une autre opinion critique provient de la Corporation Rose Blanche, qui fédère quelque 250 femmes recrutées par les FARC, qui ne cessent de dénoncer sans relâche les actes de violence qu'elles ont subis dans les rangs de la guérilla. Pour Adel González, avocat de la Corporation Rose Blanche, « la JEP est un organe judiciaire biaisé, et le terme « victimes », dans l’Accord de Paix, est un sophisme de diversion : les ex-combattants des FARC ne sont pas allés jusqu'à reconnaître leurs crimes, en particulier les crimes de recrutement et, plus particulièrement, les abus sexuels et actes de torture qu’ont eu à subir beaucoup de ces femmes. » Aux dires de cet avocat, l'interrogatoire et le témoignage de plusieurs membres de l'ancien secrétariat des FARC, désignés comme leurs agresseurs sexuels par leurs victimes, ont jusqu’à présent été refusés par la JEP. Les accusations qu’il porte visent particulièrement Timoleón Jiménez, alias « Timochenko », le principal leader des ex-FRAC, celui-là même qui a dirigé la négociation de l'Accord de Paix avec l'État colombien ; ou encore Judith Simanca Herrera, également connue sous le nom de "Victoria Sandino", actuelle sénatrice de la République pour le parti Comunes, créé après l’Accord de Paix. (…)

Sur le rôle que les agents de l'État ont joué en tant que participants au conflit, Adriana Arboleda, porte-parole du Mouvement national des victimes de crimes d'État, dit avoir demandé à la Juridiction Spéciale pour la Paix de prendre des mesures face la « stratégie négationniste et opportuniste des militaires ». Selon elle, beaucoup d'entre eux, déjà condamnés à de lourdes peines, se tournent vers la Juridiction Spéciale pour la Paix dans le seul but d’obtenir une liberté conditionnelle, sans participer à la quête de vérité ni davantage reconnaître leur responsabilité et les droits des victimes.

Dans le même ordre d'idées, Jacqueline Castillo, de la MAFAPO (Mères des Faux Positifs), espère que la JEP prendra une décision quant à la poursuite ou non de la comparution de militaires qui, de toute évidence, « n’ont pas dit toute la vérité » sur le dossier des faux positifs (exécutions extra-judiciaires).



L'avenir de la Juridiction Spéciale pour la Paix


Diverses organisations sociales et universitaires insistent pour demander à la Juridiction Spéciale pour la Paix d'ouvrir de nouveaux « macro-cas » spécifiques, notamment les cas de violences sexuelles ou basées sur le genre, les mines antipersonnel, les déplacements de populations et les enlèvements, les disparitions forcées, les violences contre les populations ethniques, le trafic de drogue, les relations entre paramilitaires et agents de l'État, et les crimes des FARC au niveau territorial.

Ces organisations attendent en outre de la JEP qu'elle continue de travailler à l'accélération des processus, à une plus grande participation des victimes et à une articulation efficace avec les autres composantes du Système Intégral, et avec d'autres entités de l'État. (…)

La constitutionnaliste Bernardita Pérez insiste par ailleurs sur l'importance et l'urgence de communiquer sur les progrès et les outils pédagogiques de la Juridiction Spéciale pour la Paix de manière constante et efficace, à travers ses propres canaux de communication de la juridiction, qui ne répondent pas à la dynamique des médias traditionnels. Son travail sera ainsi plus accessible au public et cessera d'être « doux, discret et silencieux ».

De façon générale, enfin, les différentes organisations qui représentent les victimes du conflit armé attendent, en plus d’une réparation intégrale des préjudices, une plus grande fermeté de la part de la Juridiction Spéciale pour la Paix, et une vérité totale de la part de tous ceux qui comparaissent, qu'ils soient anciens combattants des FARC ou agents des forces de sécurité de l’État.


Pour lire in extenso l’article de Verdad abierta (avec photos et graphiques),

En espagnol : ICI

En anglais : ICI


Site internet de la Juridiction Spéciale pour la Paix : https://www.jep.gov.co


Sur les Mères de Soacha : En 2014, le photographe Carlos Saavedra a réalisé Madres Terra, une série de portraits des Mères de Soacha : « J'ai commencé à leur parler, je leur ai montré un travail antérieur que j’avais fait travail avec des femmes rurales, et je leur ai dit que j'aimerais les enterrer. Au début, elles étaient perplexes. Mais je leur ai expliqué qu'il s'agissait plus d'une renaissance que d'un enterrement, qu'il s'agissait de cette tension dans les photos où l'on ne sait pas si elles sont en train de s’enfoncer ou d’émerger, que c'était un thème rituel… ». Entretien (en espagnol) et portfolio à suivre ICI.




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