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COLOMBIE. Karen Garay, 26 ans, dernière victime de la guerre des terres.


Des proches de civils tués par des membres de l'armée colombienne et présentés comme des guérilleros demandent justice à Bogota en 2014. Photo Luis Acosta/AFP.


Entre 1980 et 2010, plus de 6 millions d’hectares ont été volés, par le crime ou la menace, à des paysans colombiens et/ou aux communautés indigènes. Une spoliation dont sont forcément complices le Groupe Casino, et d’autres entreprises françaises. Le processus de restitution de terres, inscrit dans les accords de paix de 2016, ne concerne pour l’heure que 0,55 % des terres confisquées. C’est encore trop pour le régime narco-criminel d’Uribe et Duque, soutenu par la France de Macron. Karen Garay avait un visage d’ange, et une passion : la défense de l’environnement. Trop c’est trop: elle a été assassinée le 25 mai dernier. Avec la complicité du gouvernement français et du Groupe Casino (entre autres).


COLOMBIE. L’enquête sur les implications illégales, écocides et criminelles du Groupe Casino (Lire ICI), et d’autres entreprises françaises, se poursuit.

En attendant…

Karen Zulay Garay Soto, 26 ans, et Jhon Steven Cogua Luna, 22 ans, sont des dernières victimes de la « sale guerre » que connaît la Colombie. Ces jeunes gens étaient-ils de dangereux guerilleros, ou des « vandales » de la Primera Linea du mouvement de la protestation sociale ? Non. Ces deux jeunes gens, à qui la vie fut ôtée, étaient de dévoués fonctionnaires de la Unitad de Restitucion de Tierras, une instance gouvernementale mise en place dans le cadre des accords de paix, qui œuvre pour la restitution des terres dont été spoliés paysans et communautés indigènes pendant les décennies du « conflit armé » (qui, depuis les années 1960, a fait plus de 200 000 morts et près de 6 millions de déplacés), le plus souvent pour que puissent en jouir des multinationales (du genre de Casino). Les groupes paramilitaires, payés et armés par lesdites multinationales, étaient chargés de la sale besogne. Les paysans récalcitrants, ou les leaders sociaux et environnementaux qui s’opposaient un peu trop fort, étaient promptement liquidés, et ils étaient ensuite qualifiés de « guerilleros-terroristes ». Les soldats chargés de ces exécutions sommaires étaient formés dans les mêmes bataillons « d’élite » d’où sont issus les mercenaires colombiens qui auraient participé à l’assassinat du président haïtien. En Colombie, ces crimes maquillés sont qualifiés de « falsos positivos ».

Pour la justice, ces assassinats (commis sous l’ère d’Alvaro Uribe de 2002 à 2008, quand José Manuel Santos, élu ensuite Président de la République puis désigné Prix Nobel de la Paix, était alors ministre de la Défense) ont fait un minimum de 6.400 morts. En 2018, un ancien colonel de police faisait état de 10 000 exécutions de civils. Malgré un rapport accablant de l’ONU en 2010, les auteurs de ces crimes continuent de jouir d’une quasi-totale impunité.

Comme le rapporte Lluís Muñoz Pandiella dans un excellent article (en espagnol) pour France 24, voici quelques jours, le 6 juillet, le Tribunal spécial pour la paix (JEP, Justicia Especial para la Paz)a rendu publique l'ordonnance dans laquelle 10 militaires et un civil sont inculpés pour au moins 120 exécutions extrajudiciaires dans la sous-région de Catatumbo, frontalière du Venezuela. Il s'agit seulement de la deuxième inculpation prononcée par ce tribunal, après celle visant d’anciens commandants de la guérilla des FARC.

Le général Mario Montaya, soupçonné d’être impliqué dans plus de 2.000 meurtres de civils

(les « falsos positivos », décoré par Alvaro Uribe, qui le nomma ensuite

ambassadeur de Colombie en République domincaine.


Au moins l’un des ex-militaires impliqués dans l’assassinat du président colombien vient d’être identifié comme étant Francisco Eladio Uribe Ochoa, impliqué dans un moins un cas d’exécution extra-judiciaire. Le 9 octobre 2018, un juge de Medellin avait annulé l’ordre d’arrestation qui le visait. Mais Francisco Eladio Uribe Ochoa était théoriquement interdit de sortie du territoire colombien. Il a pourtant pu rejoindre Haïti sans encombre, en passant par la République dominicaine, cette même République dominicaine où fut nommé ambassadeur de Colombie par Alvaro Uribe, pour « bons et loyaux services », le général Mario Montoya, ancien commandant de l'armée de terre sous Uribe, cité plus de 40 fois dans les témoignages et accusations recueillis par le Tribunal pour la Paix. Selon Las Dos Orillas, il est le plus important des cinq généraux de haut-rang impliqués dans le scandale « falsos positivos ». Il a en outre été accusé d’avoir reçu 1,5 milliard de pesos du groupe paramilitaire Bloque Centauros, qui intervenait alors dans les régions du Meta et du Casanare…

Karen Zulay Garay Soto, Jhon Steven Cogua Luna, Yadmil et Sandra Milena Cortés, exécutés après avoir été portés disparus le 25 mai dernier lors d’une mission de l’Union pour la restitution des terres.


Karen Zulay Garay Soto, 26 ans, était diplômée en cartographie de l'Université de Cundinamarca. Passionnée par la protection de l’environnement, elle travaillait depuis février 2020 dans la région du Meta, en tant que fonctionnaire de l’Union pour la restitution des terres. « Dans une large mesure, son travail a ramené le sourire sur le visage de nombreux paysans », écrit Prensa libre, journal de la région du Casanare. Lors de sa “disparition”, le 25 mai, elle était accompagnée par un jeune chauffeur, Jhon Steven Cogua Luna. Ensemble, ils allaient rendre visite aux sœurs Yadmil et Sandra Milena Cortés, paysannes qui demandaient la restitution d’une propriété dont elles furent spoliées après que leur père fut assassiné, voici vingt ans.

Les quatre corps viennent retrouvés dans une fosse commune près du village de San Isidro, dans la municipalité de Mesetas, au sud de Meta. (A lire en espagnol sur le site de Bluradio)

La Loi de Victimes et Restitution de terres (Ley de Víctimas y Restitución de Tierras), votée en 2011 et qui devait prendre fin en juin dernier, a été prolongée de 10 ans. Selon les chiffres établis en 2010 par la Commission de suivi des politiques publiques sur les « déplacements forcés », dirigée par l'économiste Luis Jorge Garay, 6,65 millions d'hectares ont été volés entre 1980 et 2010 aux paysans colombiens, assassinés ou contraints de fuir sous la menace de groupes armés, qui ont ainsi accaparé 12% des terres agricoles en Colombie ! (Lire ICI en espagnol).

C’est grâce à cette spoliation à grande échelle que des multinationales, comme le Groupe Casino, ont pu réaliser de juteux profits. Au sein du Groupe Casino, le comité gouvernance « examine en particulier, en lien avec la stratégie du Groupe, les engagements et les politiques du Groupe en matière d’éthique et de responsabilité sociale, environnementale et sociétale d’entreprise, la mise en œuvre de ces politiques et leurs résultats ». On rigole doucement, en matière d’éthique. Le « comité gouvernance » de Casino n’est peut-être pas au courant, en ce qui concerne les terres volées en Colombie ? Voyons voir : le comité gouvernance du Groupe Casino est présidé par Thierry Billot, diplômé de Ecole supérieure de commerce de Paris, directeur général adjoint marques de Pernod Ricard, firme également présente en Colombie, où elle vient de prendre le contrôle de La Hechicera (« L’Enchanteresse »), marque de rhum colombien ultra-premium (Dans quelles conditions, pourquoi, comment ? Révélations à venir d’ici quelques jours). Fin 2004, un tribunal de New York a été saisi d’une plainte de l’État colombien : Pernod-Ricard était soupçonné d’avoir fait rentrer ses alcools en Colombie avec l'argent du trafic de cocaïne (lire ICI et ICI). Dans cette sombre affaire, le tribunal new yorkais a toutefois prononcé un non-lieu en novembre 2012. La région du Cundimarca a déposé une même plainte, sure les mêmes motifs, en novembre 2017. A suivre…

«Nourrir un monde de diversité», dit la réclame de Casino. Qu’est-ce qu’on rigole (bis) ! Mieux eut valu dire : «Faire mourir un monde de diversité», mais forcément, c’est moins vendeur…

En Colombie, en août 2020, près de dix ans après la Loi de restitution des terres, sur les 6,65 millions d’hectares concernés, seuls… 362 755 hectares avaient fait l’objet d’une mesure de restitution à 10 430 personnes ou groupes de personnes qui en avaient fait la demande. Autant dire que sur ce terrain, la justice colombienne se hâte lentement ! A ce jour, selon plusieurs ONG (Fundación Forjando Futuros, la Comisión Colombiana de Juristas (CCJ), Instituto Popular de Capacitación), restent en instance de traitement au moins 25 000 demandes de restitution présentées par des paysans et des communautés indigènes.

Mais le peu qui a été restitué, c’est déjà trop pour le clan Uribe. L’ex-président de la République a tout fait pour empêcher cette loi, et au-delà, entraver la mise en application des accords de paix signés en 2016. Et la sénatrice d’extrême extrême-droite María Fernanda Cabal, uribiste à 800%, et épouse du puissant parton de la Fédération nationale des éleveurs de bétail (qui avait comme assistant l’un des idéologues du paramilitarisme, condamné à 26 ans de prison pour avoir commandité l’exécution d’un journaliste et avocat « dérangeant »), a tenté de faire passer au Sénat un projet de loi visant à mettre fin à la restitution des terres...

La tentative a heureusement échoué, mais quand on n’a pas la loi pour soi, et qu’on a les moyens, restent les tueurs à gages (sicarios). Je ne dis pas ici que Madame Cabal a personnellement commandité le meurtre de Karen Zulay Garay Soto, mais le système qu’elle défend bec et ongles (parfaitement manucurés -je parle des ongles, pas du bec), oui.

Karen Zulay Garay Soto et ses accompagnants ont été tués dans la région du Meta, dont la représentante uribiste au Parlement colombien, Jennifer Arias, elle-même fille d’un important éleveur de bétail (condamné voici quelques années voici quelques années pour meurtre), est aujourd’hui plus que soupçonnée de liens étroits avec le narcotrafic et des groupes paramilitaires. Malgré cela, elle devrait être désignée, le prochain 20 juillet, présidente de la Chambre des députés.

Le régime narco-criminel d’Alvaro Uribe et Ivan Duque, soutenu politiquement et militairement par la France d’Emmanuel Macron au nom de la lutte contre le trafic de drogue, c’est assez comique !) a une stratégie éprouvée depuis des années. Dès qu’il y a soupçon, il s’agit de faire porter le chapeau aux guérillas révolutionnaires.

Au moment même où était révélée la découverte des corps de Karen Zulay Garay Soto, Jhon Steven Cogua Luna et des sœurs Cortés, le président Duque se fendait de deux tweets pour se réjouir de l’arrestation de deux guérilleros dissidents des FARC, responsables de l’assassinat d’un leader environnementaliste, Javier Francisco Parra Cubillos, en décembre dernier. La mission de Javier Francisco Parra Cubillos était de protéger les écosystèmes de la Sierra de la Macarena, un site touristique au centre du pays. Forcément, de quoi déranger les industries minières. Son meurtre est donc aujourd’hui attribué à des guérilleros d’une branche dissidente des FARC, le « GAOr 7 Jorge Briceño ». D’après plusieurs contacts colombiens spécialistes de l’histoire des FARC, consultés par la cellule d’investigation des humanités, ce « « GAOr 7 Jorge Briceño » n’existe pas. Ou plus exactement, il s’agit d’un « nom d’emprunt » (Jorge Briceño était un combattant des FARC abattu le 23 septembre 2010 par l'armée colombienne qui avait réussi à lui faire enfiler des bottes équipées du GPS, véridique !) utilisé par un groupe paramilitaire qui se fait passer pour un groupe de guérilla. La véritable identité des deux « suspects » arrêtés n’a pas été divulguée à cette heure. Le président Duque a seulement fait part de leurs pseudonymes : « Milton » et « Negro Mina ». En Colombie, « Negro Mina » est le nom d’un personnage de fiction. Qu’est-ce qu’on se marre.

Mais Karen Zulay Garay Soto et ses trois accompagnant.e.s ont bien été tué.e.s, ça, c’est sûr.


Jean-Marc Adolphe, 13 juillet 2021.

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